mardi, septembre 9

La diffamation dans les forums de discussions, monnaie courante.....

La diffamation dans les forums de discussions : quelle responsabilité ?
Auteur : Murielle Cahen, avocatSite : http://www.murielle-cahen.com/


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Position du problème : la responsabilité des acteurs de l’Internet occupe de plus en plus l’actualité juridique en ce moment. Aprè s la loi du 1er août 2000 et le fameux amendement Bloche qu’elle a intégré à celle du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, la responsabilité des animateurs de services interactifs tels que les chats et forums de discussions se trouve aujourd’hui au centre des débats. En effet, la jurisprudence, renforcée par cet amendement au terme duquel un hébergeur n’est " pénalement ou civilement responsable du contenu diffusé que si, ayant été saisi par une autorité judiciaire, il n’a pas agi promptement pour empêcher l’accè s au contenu incriminé ", avait permis d’aboutir à une sorte d’immunité des prestataires techniques pour les propos tenus sur les pages web et/ou forums de discussion hébergés par eux. Or, s’est rapidement posé le problè me du recours ouvert à la victime de propos diffamatoires ou infamants en cas d’impossibilité d’en identifier l’auteur : faut-il alors rechercher la responsabilité du créateur, du modérateur ou de l’administrateur du forum ? C’est précisément sur ce point que les juges français ont du se prononcer à l’occasion du litige opposant le cybermarchand Pè re-Noël aux responsables d’un forum de discussion hébergé sur le site Defense-consommateur.org. Avant de rappeler les faits de cette affaire, précisons qu’il est nécessaire de distinguer selon que l’on se trouve dans le cadre d’un forum de discussion modéré ou non. Dans le cas d’un forum non modéré, le créateur d’un site met à la disposition des internautes un forum pour qu’ils puissent s’exprimer ; à ce titre, il ne pourra pas être auteur ou co-auteur des propos diffusés. N’étant qu’un simple prestataire hébergeant un espace où chacun est libre de donner son avis, il ne détient pas la possibilité de contrôler a priori le contenu de cet espace. Son statut d’administrateur ne lui confè re qu’un pouvoir de contrôle a posteriori. En conséquence, il serait peut-être judicieux d’appliquer les dispositions de la loi d’août 2000 à ce type de créateur et de ne pas systématiquement retenir sa responsabilité en cas de publication de messages illicites sauf dans l’hypothè se où il aurait incité les internautes à tenir de tels propos ; le créateur du site pourrait alors voir sa responsabilité recherchée de ma même façon que celle d’un directeur de publication. Lorsque le forum est modéré, les propos sont validés par l’administrateur du forum avant toute diffusion ; il pourrait donc voir sa responsabilité engagée automatiquement en cas de publication de messages diffamatoires, injurieux ou autres, à l’image de ce qui se fait déjà en matiè re de presse pour les directeurs de publication.
Evolution jurisprudentielleLe jugement rendu dans l’affaire " Pè re-Noël " constitue la premiè re position prise par les juridictions françaises sur le problè me de la responsabilité des créateurs des sites proposant aux internautes un forum de discussions. Le TGI de Lyon a, par son jugement du 28 mai 2002, procédé à la condamnation des responsables du site " Defense-consommateur.org " pour diffamation suite à la publication, par des internautes, de propos injurieux et diffamants à l’encontre d’un cybermarchand (Pè re-Noël) sur le forum de discussions non modéré du site. Cette condamnation consiste au paiement d’une somme de 80 000 euros (500 000 F) à titre de dommages et intérêts ainsi qu’à la publication de la décision dans la presse et sur le site abritant le forum. Le juge a retenu la responsabilité civile et pénale des personnes en charge des sites pour l’ensemble des messages publiés sur tous les types de forums, modérés ou non modérés. Il relè ve " qu'il est constant que les [responsables] ont pris l'initiative de créer un service de communication audiovisuelle en vue d'échanger des opinions sur des thè mes définis à l'avance et en l'espè ce, relatifs aux difficultés rencontrées par certains consommateurs face à certaines sociétés de vente ; qu'ils ne peuvent donc pas opposer un défaut de surveillance des messages qui sont l'objet du présent litige ; qu'ils se considè rent eux-mêmes comme les concepteurs du site incriminé et doivent donc répondre des infractions qui pourraient avoir été commises sur le site qu'ils ont créé." Cette solution, surprenante compte tenu de la difficulté d’exercer un contrôle a priori des contenus sur les forums non modérés, a été confirmée par le TGI de Toulouse dans une ordonnance en date du 5 juin 2002 suite à une affaire aux faits similaires. En l’espè ce, une association (DomExpo) fait l’objet de vives critiques sur un site spécialisé dans les maisons, et ce dans le cadre d’un forum de discussions non modéré. Cette association obtient de l’hébergeur et du responsable du site la suppression de l’accè s au site litigieux et celle des messages incriminés. Le juge admet que les parties en cause ont rempli leurs obligations telles que découlant de l’article 43-8 de la loi du 1er août 2000 ; cependant, il considè re insuffisantes les mesures prises pour faire cesser le trouble. Le TGI rappelle que les internautes ont tenus des propos " comportant de maniè re évidente des invectives grossiè res, des imputations d'escroquerie, de pratiques douteuses qui excè dent les limites de la liberté d'expression pour entrer dans le domaine du dénigrement portant atteinte à l'honneur et ne respectant pas la dignité de celui auquel ils s'adressent ". La juridiction considè re le créateur d’un site comme " responsable du contenu du site qu'il a créé et des informations qui circulent sur le réseau " dans la mesure où il dispose seul du pouvoir réel de contrôler les informations ou diffusions. Il peut donc voir sa responsabilité civile engagée étant donné qu’il a " l'obligation de respecter les rè gles légales ou les restrictions ou interdictions qu'imposent le droit et ne peut se retrancher derriè re la nature de l'Internet pour mettre devant le fait accompli les personnes aux quelles la divulgation de propos illicites porte préjudice ". Mais, par cette ordonnance, la juridiction entend également imposer à l’hébergeur technique du forum une " obligation générale de prudence et de diligence ", celui-ci devant mettre en oeuvre " des moyens raisonnables d'information, de vigilance et d'action ". En cas de violation de ces obligations, l’hébergeur sera donc uniquement civilement responsable.
Difficultés résultant des jurisprudences " Pè re-Noël " et " DomExpoLe créateur du site qui propose un forum de discussion est soumis à une obligation de surveillance sur la totalité des contenus diffusés en raison de la maîtrise qu’il possè de sur la diffusion des propos. Cette solution semble tout à fait logique dè s lors que l’on se trouvera dans l’hypothè se où la diffamation se sera produite sur un forum modéré, l’administrateur du site devant donner son approbation préalablement à la publication des messages. Or, dans les affaires récemment examinées par les juridictions françaises, la diffamation avait eu lieu sur des forums non modérés. La responsabilité retenue par ces jugements serait donc fondée sur les articles 1383 et 1384 du Code civil, le premier posant le principe de la responsabilité du dommage causé par la négligence ou l’imprudence, le second retenant une responsabilité du fait des choses dont a la garde. Les créateurs d’un forum seraient alors responsables pour l’imprudence d’avoir mis à la disposition des internautes un forum non modéré, mais aussi en raison de la maîtrise qu’ils sont censés exercer sur leur site. En ce qui concerne les hébergeurs, on peut se demander ce que leur nouvelle obligation implique concrè tement étant donné que dans l’affaire " DomExpo " l’hébergeur avait empêché l’accè s au site litigieux dè s son assignation, pour ne le rétablir qu’aprè s la suppression des contenus diffamants. Il serait donc contraint d’installer des moyens de surveillance afin de prévenir toute mise en cause devant le juge civil ; mais ces moyens apparaissent difficiles à mettre en œuvre.
Conséquences des nouvelles positions jurisprudentiellesLe 28 juin 2002, le Tribunal d’Instance de Nantes a entériné un accord conclu le 27 juin 2002 entre le webmaster d’un forum et le président de la CPAM (Caisse Primaire d’Assurance Maladie) et par lequel les deux parties rè glent leur différent; le litige qui les opposait était en fait la conséquence de propos injurieux et diffamatoires tenus à l’encontre du second sur ce forum non modéré, mis en place pendant les derniè res élections, et qui visait à permettre aux médecins d’exprimer leur mécontentement suite aux amendes infligées par le président de l’organisme à certains de leurs confrè res qui avaient pris la décision de facturer leurs consultations au prix de 20 euros au lieu du tarif légal en vigueur inférieur (18,75 euros). Le webmaster du forum y reconnaît d’ailleurs avoir " failli à son obligation de modération en sa qualité de webmaster ". Condamné à verser un euro symbolique, il a également consenti à régler les frais résultant de la procédure. Quant à l'hébergeur du site (Nfrance) et au prestataire du systè me de forums (l’hébergeur.net-Twidi), ils ont été écartés de la procédure. En effet, ils avaient rempli leurs obligations légales en procédant à la fermeture du forum et à la publication de l'assignation. Suite à cette affaire, le responsable du site a décidé de fermer son site, regrettant que " le problè me de fond posé par les textes de lois qui engagent la responsabilité des webmasters concernant les écrits des forums reste entier ". En Allemagne, La Cour d'appel de Koblenz en Allemagne a, le 16 mai 2002, jugé responsable, des créateurs d'un site à la suite de la publication de messages dit diffamatoire dans un livre d'or. En conséquence, refuser d’appliquer aux créateurs de forums la protection de la loi du 1er août 2000, induit la suppression progressive et inéluctable de tous les forums non modérés.

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