samedi, septembre 6

Un pédophile récidiviste c'est quoi?


Durant des semaines, les médias nous ont parlé du « pédophile récidiviste ». À force de répétition, cette nomination m’a semblé obscène. Comme une façon d’en rajouter dans l’atrocité. Les catégories pénales ou morales, ne suffisent plus. Il faut inventer une sorte de graduation pour que nous prêtions l’oreille. Il y aurait des crimes plus odieux que d’autres. Mais y a-t-il des crimes justes ? des crimes passables ? excusables ? sympathiques ? Les ravages quotidiens en Irak, seraient-ils « dans la norme » ? Est-il moins grave d’attenter à l’intégrité d’un malade, d’un passant, d’un aîné ? Pour nous réveiller de notre léthargie à force d’images qui défilent au « 20h », il faut frapper nos oreilles par des formules martelées : « pédophiles récidivistes » ou les « mères tueuses en série ». Mais celles-ci nous aident-elles à entrer dans une compréhension ? D’autant que nous osons qualifier dans le même moment ces événements de « faits divers » Ou viennent-elles à bon compte alimenter une soif de sang sortie du fond des âges et qui n’épargne pas les sociétés dites cultivées ?
Permettez-moi trois questions qui sont autant de soucis. Tout d’abord le terme. Pédophile. Il y a là un contresens terrifiant qui peut jeter le soupçon sur toute relation affective avec des enfants. Pédophile signifie littéralement, « qui aime les enfants ». De philia, l’amitié, l’affection. Comme la philantropie, l’amitié pour les hommes ; la philosophie, l’amitié de la sagesse. Un cinéphile : un passionné du cinéma. Nous sommes heureusement très nombreux à aimer les enfants. Les criminels dont il est question sont des « pédoclastes » : de ceux qui brisent les enfants, ce qu’est l’enfance. Comme l’iconoclaste brise les images. Détruire l’enfance. Interdire la confiance indispensable que l’enfant doit pouvoir placer dans l’adulte. Car ce dernier est là pour le chérir avec justesse, avec un respect infini, protégeant son espace d’intimité où il peut advenir à lui-même sans frayeur. La pédoclastie sème la confusion des places : celle de l’inconnu et du proche, celle des générations, celle entre tendresse et sensualité, sexualité… Confusion entre le bien et le mal, jusque dans la parole : définition du mensonge. Mensonge institué en loi : faire du mal un « bien » pour soi. Et parfois dans les « mots dits » à l’enfant : « ce sera notre secret, ils ne comprendraient pas (les autres), je fais cela pour ton bien, tu vas devenir grand… » Briser l’enfance c’est lui mentir jusqu’en sa chair la plus fragile, violentée.
Voici ma seconde interrogation : Que se passe-t-il avec la stigmatisation de cette barbarie ? Avec la complète identification entre l’individu et son crime ? Elles font monter le sentiment d’horreur et nous mettent à distance du criminel. Plus il est stigmatisé moins il nous ressemble. Plus il entre dans l’inhumanité, il est du côté des monstres. Alors nous ne sommes plus de la même espèce. Nous aimerions bien qu’il en soit ici : les méchants d’un côté, et les gentils de l’autre. Mais le crime « pédoclaste » ne se lit pas sur le visage. Cet homme, ces hommes partagent notre condition commune. Cela nous scandalise peut-être, ou nous dérange. Mais c’est ainsi. J’aimerais tant ne ressembler en rien à un bourreau. Mais non. Des écarts sont réels, des distinctions existent heureusement, mais non une étanche séparation.
Tous, nous connaissons quelqu’un dont nous n’aurions jamais imaginé qu’il puisse commettre ce qu’il a fait. Et je tremble à l’idée qu’à force de mettre les projecteurs sur ces « pédophiles récidivistes », ils nous aveuglent sur une réalité quotidienne : plus de 90 % des violences et des crimes sexuels se passent dans la famille ou le cercle des proches. Dans tous les milieux. Enfin il y a la psychanalyse de bazar. Comme avec le terme « pulsion ». « Il n’a pas pu maîtriser sa pulsion » entend-on. Mais la pulsion ne plane pas au-dessus de nos existences pour foncer sur nous sans prévenir. Le mot désigne une construction théorique. Freud l’utilise pour manifester le mélange entre une énergie physiologique et le psychisme. La pulsion n’est pas l’instinct animal. L’humain est un être mixte : volontaire – involontaire ; conscient - inconscient… Combinaison singulière en chaque individu, changeante au fil des événements. Oui, « nous ne sommes pas maîtres en notre propre maison », dit Freud à propos de la sexualité – et chacun le sait un jour ou l’autre. Et il faut avoir les yeux ouverts : il y a des « personnalités sexuelles » gravement pathologiques (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de responsabilité). Là, seules de très lourdes prises en charges pourront peut-être porter du fruit. Mais pour la très grande majorité d’entre nous, il y a place pour la liberté et la volonté.
Pour l’orientation de mon affectivité et de mon désir sexuel. Je ne suis pas une frêle embarcation perdue dans la tempête des passions. Une tâche est alors dévolue à tous : l’attention à soi-même et l’éducation, spécialement des adolescents. L’éducation sexuelle n’est pas seulement une information. Mais une connaissance de soi, de son corps, de l’écoute de ses désirs, de ses mouvements. Et une reconnaissance de l’intégrité absolue d’autrui. Il n’est jamais objet de mon plaisir. Le consentement requiert deux libertés capables toutes deux de volonté et de responsabilité. La confession chrétienne ne pose pas d’abord un code, mais promeut la formation des consciences morales, et s’en inquiète. Pas de formation de la conscience sans connaissance et sans appui sur des adultes fiables.

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