Je voudrais que ça sarrête...»La confession dun pédophileOutreau, Angers, pédophilie sur internet... Depuis quelques années, les agressions sexuelles sur mineurs plongent régulièrement le pays dans leffroi et dans lhorreur. Qui sont ces criminels? Quont-ils dans la tête avant et après leur passage à lacte? G
, originaire du centre de la France, vient dêtre condamné à trois ans de prison. Il sest confié à nous juste avant daller purger sa peine
Jai 50 ans, je vis seul. Dans quelques semaines, je retournerai en prison purger la peine de trois ans ferme à laquelle jai été condamné pour des agressions sexuelles sur mineurs. Jai déjà fait un an de détention provisoire juste après mon interpellation il y a trois ans et demi. Je rêvais dêtre berger des enfants et je suis devenu le loup dans la bergerie. Ça résume toute mon histoire. Je sais que ce que jai fait est mal, très mal. Je ne me le pardonne pas. Je voudrais que ça sarrête. Cest pour ça que jai décidé de parler. Cest important de pouvoir parler à un psy, à la famille, aux proches. Tant quon ne dit rien, on ne peut pas se débarrasser du problème. Cest comme une spirale qui vous emprisonne.Moi, jai commencé à parler au commissariat il y a bientôt quatre ans. Javais été convoqué après la plainte de deux jeunes garçons. Ils avaient 8 et 10 ans, je les avais rencontrés la semaine précédente et javais eu sur eux des gestes déplacés. Quand jai reçu la convocation, jai su immédiatement ce qui allait se passer. Javais peur mais je savais que ça ne pouvait plus durer. Jétais arrivé au bout. Jai reconnu pour les deux petits et jai soulagé ma conscience sur dautres faits que la police ne soupçonnait pas. Je me suis dénoncé pour des attouchements sur trois autres enfants, deux frères et le fils dun voisin. La garde à vue a été traumatisante, mais au moins le volcan a explosé. Je pouvais enfin dire aux autres: voilà ce que je suis.
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Jai toujours dû cacher ma sexualité. Parce que je suis homosexuel et que je nai jamais réussi à lassumer. Aujourdhui encore, cest compliqué, mais il y a trente-cinq ans, dans ma petite ville de province et dans mon milieu, ça ne se faisait pas. Au collège, à larmée, toujours il fallait se cacher. Cétait pas de la honte, comment avoir honte de ce qui nous plaît? Mais de la peur, oui, la peur de transgresser linterdit. Jaurais pu partir, aller vivre mon homosexualité dans une ville plus grande, plus anonyme. Mais je nai pas eu le courage de quitter ma famille. Je suis resté, et jai construit mon double personnage: Docteur Jekyll, Mister Hyde. Lhomme de la vie de tous les jours, qui travaille, a des amis et plein dactivités associatives; et lautre, celui qui souffre de la solitude mais qui ne sadresse jamais aux bonnes personnes pour combler le vide. Plus le temps passe, plus la solitude pèse. Jai mis un mouchoir sur ma vie affective, puis une serviette, puis une serpillière, puis une chape de plomb. Ça a débordé quand même.Cétait comme passer à la clandestinité. Mener une double vie, cachée, insoupçonnable. Puisque je refusais dassumer mon homosexualité, que je nétais pas attiré par les femmes, je fantasmais sur les jeunes garçons. Pour moi, la beauté masculine est indissociable de la jeunesse. Le genre éphèbe grec. Je crois que je suis resté bloqué à ladolescence dans ma sexualité: ceux qui mattirent ont lâge de mes premières expériences. La première fois, je lai fait avec un cousin. Javais 28 ans, lui 12. Ça a duré des années. On se voyait à des repas de famille, je buvais un peu et ça se passait. Je navais pas conscience à lépoque que ça pouvait causer un traumatisme puisque je le faisais sans violence ni menace. Avec toutes mes victimes, cétait plus des jeux érotiques que du viol. Dans mon esprit au moins. Je ne prends conscience quaujourdhui que je leur faisais du mal. Sur le coup, on se dit que lautre est daccord, que cest une vraie relation, quon saime bien et que ce nest pas si grave. Pourtant, jai toujours en souvenir le regard quils avaient «après»
Jy lisais la peur davoir transgressé linterdit. Peut-être étaient-ils effrayés par moi en réalité. Je ne sais pas, jai du mal à me dire ça, parce quil y avait de la connivence entre nous, de la confiance, de lamitié. Ça ne se dit pas normalement, mais cest la vérité: des liens se créent. Comme les enfants maltraités aiment leurs parents, je crois quil y avait de laffectif entre nous.
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Après mon premier cousin, jai eu des relations avec un autre cousin. Puis les jeunes pour lesquels jai été condamné. Cest devenu un engrenage. Comme quelquun qui cherche de la drogue ou de lalcool à tout prix. Je nétais plus apte à mesurer mon comportement. Je faisais tout pour les voir, entrer en contact avec eux, me retrouver seul avec eux, même quelques minutes, juste pour glisser ma main dans leur slip. Cest vraiment nimporte quoi. Jai fait ça pendant cinq ans avec le fils dun voisin, entre 8 et 13 ans, et avec deux frères, âgés de 10 et 14 ans au début. Aucun des deux ne savait que lautre était victime aussi. Je marrangeais pour passer du temps avec eux, chez moi, en promenade, à la piscine. Leurs parents me faisaient confiance, croyaient que jétais un type bien. Jai trahi tout le monde, les enfants mais aussi les adultes. Les victimes ont été traumatisées, cest certain, et doublement avec le procès: ils ont très mal vécu le fait que ça soit rendu public. Quand ils ont été convoqués par la police, avec leurs parents, ils ne savaient pas pourquoi. Le plus âgé dentre eux voulait me casser la gueule, il a été blessé dans son ego de jeune adulte quon raconte quil avait eu des relations homosexuelles. Les autres se sont sentis coupables de navoir rien dit à leurs parents. Me dire que je leur ai fait du mal alors que je leur voulais du bien, être confronté à cet aspect de ma personnalité, cest atroce. On me dirait: "On vous fait une piqûre, une opération et cest fini", je dirais banco immédiatement. Je ne veux plus faire de mal aux enfants.La peine de prison, je laccepte, pour les victimes qui doivent savoir quelles sont victimes, et pour moi, le coupable. Je nai jamais été dans la dénégation, contrairement à beaucoup de mes codétenus. Mais je minterroge sur la justice: pourquoi a-t-on mis si longtemps, presque quatre ans, à me juger? Pour moi, mais surtout pour les jeunes, ça me semble aberrant. Et surtout, pourquoi retourner en prison? Ce que jai fait est aux antipodes dune partie de moi-même, mais on ne peut pas mettre que Docteur Jekyll en prison. Mister Hyde ira aussi. Que je fasse six mois ou deux ans, selon lappréciation du juge dapplication des peines, quest-ce que ça changera? Jai déjà fait un an de détention préventive, je sais où je vais, je sais que jen ressortirai pire quaujourdhui, abîmé. La prison, cest une destruction des personnalités à grande échelle, on nous lamine systématiquement, surtout quand on est «pointeur»: les autres détenus, les gardiens vous font comprendre que vous êtes un paria. Tout le monde vous rabaisse tout le temps. Jai connu les insultes, les crachats, les ovnis qui vous tombent dessus en promenade. La plupart du temps, les délinquants sexuels ont peur, ils sortent peu, évitent tout contact avec les autres. Jen ai connu un qui navait pas quitté sa cellule une seule fois en deux ans et demi. Moi, javais trouvé un protecteur, un médecin qui aidait les autres. Je suis daccord pour payer mes erreurs, mais je crois que je mérite malgré tout ça dêtre traité comme un être humain, quon me respecte un minimum. Il faudrait que les gens comprennent que ces histoires sordides de pédophilie sont le fait de gens ordinaires. Nous ne sommes pas des monstres. Cest très difficile de travailler psychologiquement sur soi dans ces conditions, dautant que les moyens sont très faibles: lors de ma détention provisoire, je pouvais voir la psy vingt minutes tous les quinze jours. A lextérieur, cest une heure par mois. Cest insuffisant mais je nai pas les moyens de payer plus, puisque jai perdu mon emploi en une minute après la révélation des faits.Je sais quen sortant de prison il faudra tout reconstruire de nouveau: reprendre un vrai suivi psy, retrouver du boulot et, surtout, ne pas sombrer dans la galère. Parce que cest la marginalité, lexclusion qui me rendent plus dangereux, jen suis conscient. Comme un drogué en manque: si vous le laissez tout seul, à la rue, il a plus de risque de replonger. Ce qui vous sauve, cest le travail, la société, lencadrement. Jai très peur de la récidive, cest une épée de Damoclès qui ne me lâchera jamais. Le bracelet électronique? Pourquoi pas? Je pense que tout vaut mieux que la prison. Mais en même temps, bracelet ou pas, il faut surtout se surveiller soi-même. Cest comme si jen avais un dans la tête, jour et nuit, depuis le 27 mai 2002. Je suis dans lautosurveillance permanente. Je me fixe des interdits: je change de trottoir quand je vois un jeune homme, je ne vais plus dans certains endroits. Je minterdis toute tentation. La psychothérapie me fait avancer, je le sens: je ne fantasme plus sur des enfants. Mais je reste attiré par les adolescents. Ce nest pas encore gagné. Jai besoin daide, si lon veut protéger les jeunes.»
«Punir et aider»
Le Nouvel Observateur. La pédophilie est-elle une maladie? Roland Coutanceau. Non. Lattrait pédophilique est le fait dêtre excité sexuellement par les corps prépubères, garçons ou filles. Mais être attiré ne suppose pas que lon va passer à lacte. Certains sont assez mûrs pour sinterdire tout passage à lacte. La majorité des gens que lon voit dans les procédures judiciaires parce quils ont surfé sur des sites pédophiles nont dailleurs jamais touché un enfant.N. O. Quest-ce qui détermine ce passage à lacte? R. Coutanceau. En général, une immaturité affective et un égocentrisme au sens psychique: ces gens sont tellement obsédés par leurs fantasmes quils ne pensent pas à lautre. On trouve aussi des cas de pédophilie occasionnelle: par exemple, ladolescent intimidé par les filles, sans expérience, et qui va expérimenter les sensations sexuelles avec une gamine de 10 ans.N. O. Y a-t-il différents types de pédophiles? R. Coutanceau. On peut distinguer trois grandes catégories dactes pédophiles. Il y a ceux que je viens de citer, dus à des gens inhibés et pas principalement attirés par des enfants. Il y a évidemment les plus marquants, ceux qui relèvent dune minorité, les «violeurs prédateurs»: ils enlèvent des enfants, les séquestrent et sont effroyablement violents. Mais ces cas sont très rares. Le pain quotidien de la transgression est le fait de ceux que jappelle les «tripoteurs manipulateurs». Ces personnes sont attirées par des enfants de leur entourage. Inhibés avec les adultes, ils deviennent proches des gamins en étant sympathiques, disponibles. Ils idéalisent lenfance, vous expliquent queux aiment vraiment les enfants, ne supportent pas quils soient malheureux et cherchent en général à montrer que cest une relation réciproque. Les attouchements sont souvent nombreux avant que la victime ne trouve la force de les dénoncer.N. O. Au-delà de la prison, comment traiter ces transgressions? R. Coutanceau. Autrefois, on était dans lalternative «soigner ou punir». Aujourdhui, et surtout avec cette criminalité-là, on est dans le «punir et aider». La sanction est nécessaire, 80% des condamnés ne récidivent dailleurs pas. Mais laccompagnement de ces sujets vers la connaissance de ce quils sont est essentiel. Notamment par des thérapies de groupe, on peut les amener à repérer les situations à risque, leur apprendre à gérer leur sexualité, à se maîtriser et même pour certains à avoir une sexualité «avec les grands». De leur côté, de plus en plus de psys, qui refusaient il y a encore quelques années la notion de suivi psychiatrique obligatoire, acceptent désormais de le faire. Cest une grande révolution! Quil faut intensifier par un maillage de tout le territoire: il faudrait que dans chaque département un réseau de psys formés puisse assurer la prise en charge et lévaluation de la dangerosité des condamnés. Mais il faut être honnête: la récidive ne sera jamais nulle. Je crois quen la matière il ne faut pas sinterdire dassocier les techniques: pourquoi pas le bracelet électronique ou la castration chimique pour des individus repérés comme particulièrement dangereux?
Isabelle MonninLe Nouvel Observateur
samedi, septembre 6
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