samedi, septembre 6

Un pédophile, c'est qui?

Je voudrais que ça s’arrête...»La confession d’un pédophileOutreau, Angers, pédophilie sur internet... Depuis quelques années, les agressions sexuelles sur mineurs plongent régulièrement le pays dans l’effroi et dans l’horreur. Qui sont ces criminels? Qu’ont-ils dans la tête avant et après leur passage à l’acte? G…, originaire du centre de la France, vient d’être condamné à trois ans de prison. Il s’est confié à nous juste avant d’aller purger sa peine
J’ai 50 ans, je vis seul. Dans quelques semaines, je retournerai en prison purger la peine de trois ans ferme à laquelle j’ai été condamné pour des agressions sexuelles sur mineurs. J’ai déjà fait un an de détention provisoire juste après mon interpellation il y a trois ans et demi. Je rêvais d’être berger des enfants et je suis devenu le loup dans la bergerie. Ça résume toute mon histoire. Je sais que ce que j’ai fait est mal, très mal. Je ne me le pardonne pas. Je voudrais que ça s’arrête. C’est pour ça que j’ai décidé de parler. C’est important de pouvoir parler à un psy, à la famille, aux proches. Tant qu’on ne dit rien, on ne peut pas se débarrasser du problème. C’est comme une spirale qui vous emprisonne.Moi, j’ai commencé à parler au commissariat il y a bientôt quatre ans. J’avais été convoqué après la plainte de deux jeunes garçons. Ils avaient 8 et 10 ans, je les avais rencontrés la semaine précédente et j’avais eu sur eux des gestes déplacés. Quand j’ai reçu la convocation, j’ai su immédiatement ce qui allait se passer. J’avais peur mais je savais que ça ne pouvait plus durer. J’étais arrivé au bout. J’ai reconnu pour les deux petits et j’ai soulagé ma conscience sur d’autres faits que la police ne soupçonnait pas. Je me suis dénoncé pour des attouchements sur trois autres enfants, deux frères et le fils d’un voisin. La garde à vue a été traumatisante, mais au moins le volcan a explosé. Je pouvais enfin dire aux autres: voilà ce que je suis.
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J’ai toujours dû cacher ma sexualité. Parce que je suis homosexuel et que je n’ai jamais réussi à l’assumer. Aujourd’hui encore, c’est compliqué, mais il y a trente-cinq ans, dans ma petite ville de province et dans mon milieu, ça ne se faisait pas. Au collège, à l’armée, toujours il fallait se cacher. C’était pas de la honte, comment avoir honte de ce qui nous plaît? Mais de la peur, oui, la peur de transgresser l’interdit. J’aurais pu partir, aller vivre mon homosexualité dans une ville plus grande, plus anonyme. Mais je n’ai pas eu le courage de quitter ma famille. Je suis resté, et j’ai construit mon double personnage: Docteur Jekyll, Mister Hyde. L’homme de la vie de tous les jours, qui travaille, a des amis et plein d’activités associatives; et l’autre, celui qui souffre de la solitude mais qui ne s’adresse jamais aux bonnes personnes pour combler le vide. Plus le temps passe, plus la solitude pèse. J’ai mis un mouchoir sur ma vie affective, puis une serviette, puis une serpillière, puis une chape de plomb. Ça a débordé quand même.C’était comme passer à la clandestinité. Mener une double vie, cachée, insoupçonnable. Puisque je refusais d’assumer mon homosexualité, que je n’étais pas attiré par les femmes, je fantasmais sur les jeunes garçons. Pour moi, la beauté masculine est indissociable de la jeunesse. Le genre éphèbe grec. Je crois que je suis resté bloqué à l’adolescence dans ma sexualité: ceux qui m’attirent ont l’âge de mes premières expériences. La première fois, je l’ai fait avec un cousin. J’avais 28 ans, lui 12. Ça a duré des années. On se voyait à des repas de famille, je buvais un peu et ça se passait. Je n’avais pas conscience à l’époque que ça pouvait causer un traumatisme puisque je le faisais sans violence ni menace. Avec toutes mes victimes, c’était plus des jeux érotiques que du viol. Dans mon esprit au moins. Je ne prends conscience qu’aujourd’hui que je leur faisais du mal. Sur le coup, on se dit que l’autre est d’accord, que c’est une vraie relation, qu’on s’aime bien et que ce n’est pas si grave. Pourtant, j’ai toujours en souvenir le regard qu’ils avaient «après»… J’y lisais la peur d’avoir transgressé l’interdit. Peut-être étaient-ils effrayés par moi en réalité. Je ne sais pas, j’ai du mal à me dire ça, parce qu’il y avait de la connivence entre nous, de la confiance, de l’amitié. Ça ne se dit pas normalement, mais c’est la vérité: des liens se créent. Comme les enfants maltraités aiment leurs parents, je crois qu’il y avait de l’affectif entre nous.
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Après mon premier cousin, j’ai eu des relations avec un autre cousin. Puis les jeunes pour lesquels j’ai été condamné. C’est devenu un engrenage. Comme quelqu’un qui cherche de la drogue ou de l’alcool à tout prix. Je n’étais plus apte à mesurer mon comportement. Je faisais tout pour les voir, entrer en contact avec eux, me retrouver seul avec eux, même quelques minutes, juste pour glisser ma main dans leur slip. C’est vraiment n’importe quoi. J’ai fait ça pendant cinq ans avec le fils d’un voisin, entre 8 et 13 ans, et avec deux frères, âgés de 10 et 14 ans au début. Aucun des deux ne savait que l’autre était victime aussi. Je m’arrangeais pour passer du temps avec eux, chez moi, en promenade, à la piscine. Leurs parents me faisaient confiance, croyaient que j’étais un type bien. J’ai trahi tout le monde, les enfants mais aussi les adultes. Les victimes ont été traumatisées, c’est certain, et doublement avec le procès: ils ont très mal vécu le fait que ça soit rendu public. Quand ils ont été convoqués par la police, avec leurs parents, ils ne savaient pas pourquoi. Le plus âgé d’entre eux voulait me casser la gueule, il a été blessé dans son ego de jeune adulte qu’on raconte qu’il avait eu des relations homosexuelles. Les autres se sont sentis coupables de n’avoir rien dit à leurs parents. Me dire que je leur ai fait du mal alors que je leur voulais du bien, être confronté à cet aspect de ma personnalité, c’est atroce. On me dirait: "On vous fait une piqûre, une opération et c’est fini", je dirais banco immédiatement. Je ne veux plus faire de mal aux enfants.La peine de prison, je l’accepte, pour les victimes qui doivent savoir qu’elles sont victimes, et pour moi, le coupable. Je n’ai jamais été dans la dénégation, contrairement à beaucoup de mes codétenus. Mais je m’interroge sur la justice: pourquoi a-t-on mis si longtemps, presque quatre ans, à me juger? Pour moi, mais surtout pour les jeunes, ça me semble aberrant. Et surtout, pourquoi retourner en prison? Ce que j’ai fait est aux antipodes d’une partie de moi-même, mais on ne peut pas mettre que Docteur Jekyll en prison. Mister Hyde ira aussi. Que je fasse six mois ou deux ans, selon l’appréciation du juge d’application des peines, qu’est-ce que ça changera? J’ai déjà fait un an de détention préventive, je sais où je vais, je sais que j’en ressortirai pire qu’aujourd’hui, abîmé. La prison, c’est une destruction des personnalités à grande échelle, on nous lamine systématiquement, surtout quand on est «pointeur»: les autres détenus, les gardiens vous font comprendre que vous êtes un paria. Tout le monde vous rabaisse tout le temps. J’ai connu les insultes, les crachats, les ovnis qui vous tombent dessus en promenade. La plupart du temps, les délinquants sexuels ont peur, ils sortent peu, évitent tout contact avec les autres. J’en ai connu un qui n’avait pas quitté sa cellule une seule fois en deux ans et demi. Moi, j’avais trouvé un protecteur, un médecin qui aidait les autres. Je suis d’accord pour payer mes erreurs, mais je crois que je mérite malgré tout ça d’être traité comme un être humain, qu’on me respecte un minimum. Il faudrait que les gens comprennent que ces histoires sordides de pédophilie sont le fait de gens ordinaires. Nous ne sommes pas des monstres. C’est très difficile de travailler psychologiquement sur soi dans ces conditions, d’autant que les moyens sont très faibles: lors de ma détention provisoire, je pouvais voir la psy vingt minutes tous les quinze jours. A l’extérieur, c’est une heure par mois. C’est insuffisant mais je n’ai pas les moyens de payer plus, puisque j’ai perdu mon emploi en une minute après la révélation des faits.Je sais qu’en sortant de prison il faudra tout reconstruire de nouveau: reprendre un vrai suivi psy, retrouver du boulot et, surtout, ne pas sombrer dans la galère. Parce que c’est la marginalité, l’exclusion qui me rendent plus dangereux, j’en suis conscient. Comme un drogué en manque: si vous le laissez tout seul, à la rue, il a plus de risque de replonger. Ce qui vous sauve, c’est le travail, la société, l’encadrement. J’ai très peur de la récidive, c’est une épée de Damoclès qui ne me lâchera jamais. Le bracelet électronique? Pourquoi pas? Je pense que tout vaut mieux que la prison. Mais en même temps, bracelet ou pas, il faut surtout se surveiller soi-même. C’est comme si j’en avais un dans la tête, jour et nuit, depuis le 27 mai 2002. Je suis dans l’autosurveillance permanente. Je me fixe des interdits: je change de trottoir quand je vois un jeune homme, je ne vais plus dans certains endroits. Je m’interdis toute tentation. La psychothérapie me fait avancer, je le sens: je ne fantasme plus sur des enfants. Mais je reste attiré par les adolescents. Ce n’est pas encore gagné. J’ai besoin d’aide, si l’on veut protéger les jeunes.»
«Punir et aider»
Le Nouvel Observateur. – La pédophilie est-elle une maladie? Roland Coutanceau. – Non. L’attrait pédophilique est le fait d’être excité sexuellement par les corps prépubères, garçons ou filles. Mais être attiré ne suppose pas que l’on va passer à l’acte. Certains sont assez mûrs pour s’interdire tout passage à l’acte. La majorité des gens que l’on voit dans les procédures judiciaires parce qu’ils ont surfé sur des sites pédophiles n’ont d’ailleurs jamais touché un enfant.N. O. – Qu’est-ce qui détermine ce passage à l’acte? R. Coutanceau. – En général, une immaturité affective et un égocentrisme au sens psychique: ces gens sont tellement obsédés par leurs fantasmes qu’ils ne pensent pas à l’autre. On trouve aussi des cas de pédophilie occasionnelle: par exemple, l’adolescent intimidé par les filles, sans expérience, et qui va expérimenter les sensations sexuelles avec une gamine de 10 ans.N. O. – Y a-t-il différents types de pédophiles? R. Coutanceau. – On peut distinguer trois grandes catégories d’actes pédophiles. Il y a ceux que je viens de citer, dus à des gens inhibés et pas principalement attirés par des enfants. Il y a évidemment les plus marquants, ceux qui relèvent d’une minorité, les «violeurs prédateurs»: ils enlèvent des enfants, les séquestrent et sont effroyablement violents. Mais ces cas sont très rares. Le pain quotidien de la transgression est le fait de ceux que j’appelle les «tripoteurs manipulateurs». Ces personnes sont attirées par des enfants de leur entourage. Inhibés avec les adultes, ils deviennent proches des gamins en étant sympathiques, disponibles. Ils idéalisent l’enfance, vous expliquent qu’eux aiment vraiment les enfants, ne supportent pas qu’ils soient malheureux et cherchent en général à montrer que c’est une relation réciproque. Les attouchements sont souvent nombreux avant que la victime ne trouve la force de les dénoncer.N. O. – Au-delà de la prison, comment traiter ces transgressions? R. Coutanceau. – Autrefois, on était dans l’alternative «soigner ou punir». Aujourd’hui, et surtout avec cette criminalité-là, on est dans le «punir et aider». La sanction est nécessaire, 80% des condamnés ne récidivent d’ailleurs pas. Mais l’accompagnement de ces sujets vers la connaissance de ce qu’ils sont est essentiel. Notamment par des thérapies de groupe, on peut les amener à repérer les situations à risque, leur apprendre à gérer leur sexualité, à se maîtriser et même pour certains à avoir une sexualité «avec les grands». De leur côté, de plus en plus de psys, qui refusaient il y a encore quelques années la notion de suivi psychiatrique obligatoire, acceptent désormais de le faire. C’est une grande révolution! Qu’il faut intensifier par un maillage de tout le territoire: il faudrait que dans chaque département un réseau de psys formés puisse assurer la prise en charge et l’évaluation de la dangerosité des condamnés. Mais il faut être honnête: la récidive ne sera jamais nulle. Je crois qu’en la matière il ne faut pas s’interdire d’associer les techniques: pourquoi pas le bracelet électronique ou la castration chimique pour des individus repérés comme particulièrement dangereux?

Isabelle MonninLe Nouvel Observateur

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